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Chroniques historiques de L'écho de Compton

Les fêtes du 150e en 2006

 

L’histoire de la COOP

Il y a quelques mois, pendant les activités du 150e de la Paroisse, on m’a confié un cahier manuscrit contenant les procès-verbaux de la Société coopérative agricole de Compton des années 1934 à 1939.  Ce journal a beaucoup voyagé puisqu’il s’est retrouvé entre les mains d’une dame Laflamme qui habite maintenant hors de l’Estrie. Dans ce carnet, on relate l’ensemble du processus conduisant à la construction, le démarrage puis les opérations de la beurrerie, aujourd’hui disparue. 

Que la direction actuelle de cette vénérable institution se rassure, je leur remettrai le précieux cahier, mais puisque c’est une histoire qui m’a captivée, je me propose d’abord de la partager avec vous tous.  Vous verrez, on constate rapidement que l’esprit entrepreneurial comptonois ne date pas d’hier!

Nathalie Lessard

 


Ancienne beurrerie

 

Le projet de construction de la beurrerie

Cet épisode s’ébauche en avril 1934 alors que la Coop de Compton décide de s’affilier à la Fédérée de Montréal.  Le bâtiment qui abritera la beurrerie n’est pas encore construit et, pour le comité de direction, les réunions se multiplient pour tout planifier. La présidence du conseil est confiée à M. Philias Bureau qui peut compter sur le soutien des autres directeurs : MM. Alphonse Gilbert, Azarias Grenier, Alfred Chapdelaine, Alfred Bolduc, Edward Hooper et H.H. Allison.  Les réunions se tiennent tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre.  Elles se succèdent à un rythme effréné, du moins dans les premiers temps.

Le terrain convoité pour la construction mesure 75 pieds par 272 pieds.  Il vaut 150 $ que la Coop n’aura pas besoin de débourser.  En effet, M. le curé Paul-Émile Brouillet a décidé de l’offrir à la jeune entreprise qui pourtant, de son côté, était disposée à le payer.  L’abbé devait même prêter son concours à titre de « surveillant des travaux », jusqu’à ce que soit retirée la clause lui permettant de récupérer son bien dans l’éventualité où le projet serait voué à l’échec. Le terrain est finalement donné « pour de bon » et la Coop récupère le plein contrôle de l’entreprise.  Sa reconnaissance envers M. le curé se manifestera quelques mois plus tard lorsque lui seront offertes trois parts privilégiées.

La construction de l’édifice devant abriter les équipements de transformation est confiée à M. Alfred Blondeau de « Stanstead entrepreneur ».  Celui-ci fournira tout, sauf le ciment et la peinture.  Il s’engage aussi à embaucher localement, dans la mesure du possible.  Il recevra 3800 $.

La société Canada Power fournit l’électricité et s’occupe d’installer la pompe nécessaire pour transporter la crème.  Le débit de celle-ci sera bientôt insuffisant et on s’en procurera une plus puissante.

Pour financer la réalisation de ce rêve, 8000 $ sont empruntés à la Fédérée de Montréal, qui détient l’hypothèque de premier rang, au taux de 6 %.  Dès 1936, on remboursera cette dette puisqu’une meilleure offre est faite par la Caisse populaire Desjardins : un taux de 4.5 %.  La Fédérée demeurera tout de même la principale cliente et on lui vendra le beurre 0.03 $ la livre. 

 

L’alimentation en eau potable

L’utilisation d’une source pour alimenter la fabrique est immédiatement insérée au budget, à raison de 35 $ par année.  On négocie également le droit d’égout dans un… ruisseau!!!  On signe ensuite un accord pour l’utilisation de l’aqueduc, qui appartenait à des intérêts privés.  Il y est prévu que tout litige sera soumis à un arbitre.  Mais, surprise, le document disparaît et le conseil se questionne à savoir si le fournisseur ne l’a pas escamoté… « accidentellement ».

Heureusement, l’eau sera fidèlement fournie, mais en quantité insuffisante puisqu’on fera plus tard, soit en 1937, appel aux services de l’aqueduc de Johnville.  La première année, le propriétaire de cet aqueduc cédera aux pressions de ses autres clients faisant passer les besoins de la beurrerie après leurs propres intérêts.  Mais le conseil prendra aussitôt soin d’exiger des engagements écrits pour garantir l’approvisionnement. Entre temps, on aura acquis des « droits d’eau » auprès de plusieurs propriétaires environnants.  Un de ces contrats stipule que ce droit s’élèvera à 3 $ par an « tant que la dite coopérative existera ».  Hélas, ce n’est pas d’hier qu’on doit se chercher de l’eau à Compton!

 

L’aménagement et l’entretien

M. Jos. Mercier est mandaté pour démolir l’ancienne glacière et en reconstruire une autre, directement sur le terrain de la fabrique de beurre; 25 $ sont alloués à ces fins.

On initie ensuite une corvée pour réaliser le « gravelage du chemin de ceinture de la fabrique de même que les travaux de terrassement ».  Sont bénévoles : MM. P. Bureau, A. Chapdelaine, A. Grenier, A. Gilbert, A. Bolduc, P. Audet et J. Audet.  Pour effectuer les travaux, on paye la gravelle 0.75 $ par verge cube.

Les moindres petits détails sont discutés en comité.  Lors d’une réunion du comité de direction, on spécifie même que les poteaux de cèdre nécessaires devront mesurer 7 pieds et offrir un minimum de 6 pouces de diamètre à l’extrémité la plus fine.

À l’époque, la corde de bois de 2 pieds se paie entre 2 $ et 3.30 $.  On finira par l’acheter aux enchères, le même jour que la Commission scolaire, afin de payer le meilleur prix possible.

La glace demeure un enjeu important.  La première année, on offre 0.10 $ par cube de 2 pouces par 3 pouces pour s’en procurer.  Cette tâche, confiée à D. Bolduc, nécessite de tailler les blocs, de les charger sur le traîneau et de les transporter jusqu’à la glacière où ils seront enrobés de ripe.  Celle-ci coûtera 3 $ par chargement.  Plus tard, on décidera de fonctionner par encan dans ce domaine aussi et le coût total avoisinera 105 $, annuellement, pour cette précieuse glace.

 

La fabrication du beurre

On propose à M. Carolus Veilleux de recevoir et de transformer la crème 6 jours par semaine.  Un logement chauffé lui sera également fourni à condition qu’il accepte d’ici 3 jours.  Ce qu’il fait.  Son salaire, de 50 $ par mois, augmentera graduellement pour atteindre 60 $ en 1938, soit une augmentation moyenne de 5 % par année.  Selon la charge de travail, il pourra compter sur l’appui d’un ou deux « aides ».

Le beurre est acheminé à Montréal par M. A. Marcoux. Au fil du temps, le coût du transport passera de 0.18 $ à 0.17 $ la boîte et on l’obligera à déposer une caution de 1000 $ puisqu’il est responsable de son chargement.  Selon l’entente, le beurre doit être livré en 12 heures ou moins.  On l’obligera aussi à rapporter du matériel de Montréal, sans frais supplémentaires.

La Coop reçoit la crème de différentes zones des environs : le secteur de Moe’s River, le chemin Cochrane et le village, le secteur Hatley et Hillhurst, Compton Station et Waterville, Yve’s Hill.  Les cultivateurs de Stanstead sont aussi invités à fournir de la crème et on leur paie même un petit extra pour les frais de transport supplémentaires qu’ils doivent débourser.

En 1935, le ministère de l’Agriculture exige que des « épreuves » de beurre soient réalisées chaque jour.  Le conseil refuse catégoriquement alléguant que c’est trop cher.  Le contrôle de qualité rigoureux n’était pas encore à la mode…

 

Les actionnaires

Après quelques mois d’opération, les directeurs décident de rappeler à l’ordre deux actionnaires de la Coop qui n’acheminent pas leur crème à la fabrique pour en faire du beurre.  L’un de ceux-ci décidera d’ailleurs de transférer ses actions à un autre agriculteur. À ce propos, tout transport d’action est sujet à approbation par le conseil.  Ne devient pas actionnaire qui veut!

De 7 directeurs, le conseil passe à 5, en 1936.  Ils sont nommés chaque année, à la réunion annuelle qui se tient à la salle paroissiale.  Les rapports annuels y sont lus dans les 2 langues officielles, les conseils de l’agronome sont prodigués et les directeurs qui formeront le prochain conseil sont élus.  Il existe des actions « ordinaires » ainsi que des actions « privilégiées ».  La ristourne qui leur est versée est décidée et on la calcule en fonction des livres de gras fournies.

Voici la liste de quelques-uns des actionnaires, ceux dont le nom est mentionné dans le document : Joseph Veilleux, Joseph Corriveau, David Rouillard (Waterville), Damasse Bouffard, O. Paré, Ludger Denis, Louis Breault, Philibert Audet, Josaphat Audet, G., Martel, T. Comtois, Charles Gagnon, Hormidas Gagnon, G. Vaillancourt, Odilon Bureau (Hatley), Ubald Gagnon, Albert Poulin, A. Dessureault, P.-E. Lachance, G, Létourneau (Waterville), Jules Perron (Waterville), T. Vaillancourt, J.V. Veilleux, J.-A. Rivard, Josaphat Loubier, J. Poirier, G. Vachon, F. Audet, Georges Breault, Nelson Veilleux, Ovila Tétreault, Lucien Robert, Lucien Duclos, Goerges Drouin, H. Lalumière, Josaphat Bureau, Adélard Bolduc, Alfred Bolduc, Honorius Girard, Alphonse Gilbert, J. Boivin, Georges Petit, Jean-Marie Petit.  Et la liste pourrait certainement s’étendre encore puisque 100 certificats d’actions ont été imprimés pour être remis à ceux qui avaient terminé de payer leur dû.

 

Le développement de l’entreprise

Afin d’étendre ses effectifs, la Coop prend soin d’offrir aussi des ristournes conditionnelles à ses autres fournisseurs de crème.  La condition étant d’utiliser cet argent comme acompte sur l’achat d’actions.

En 1937, la meunerie et tout son contenu font l’objet d’un vote : est-ce que la Coop doit les acquérir auprès de la succession de Paul-Émile Brouillet?  Trente-huit voix l’emportent contre dix qui n’y voient pas d’avantages.  C’est donc 1500 $ « cash » qui sont remis aux héritiers.

 

L’administration

La saine gestion de l’entreprise est au cœur des préoccupations des directeurs qui n’hésiteront pas à retenir des montants sur la paie des employés lorsque ceux-ci « oublient » de payer leurs dettes.  Une surcharge sera également appliquée aux achats de tout client qui n’a pas payé ses engrais.

On l’a vu, tout sera fait pour payer le bois, la glace, le transport à des conditions de plus en plus avantageuses pour la Coop et ses actionnaires. 

Fermeté dans les négociations, motivation dans l’esprit de décision, rigueur dans les contrôles et vigueur dans la mise en oeuvre : voilà l’essentiel des valeurs qui semblent avoir guidé nos ancêtres.

 

Est-ce que l’histoire se poursuit?

Puis, en 1939, on pensera doucement à se procurer une glacière automatisée : un congélateur!  Est-ce que cette opportunité a finalement été saisie? 

Est-ce que la guerre a eu un impact? 

En quelle année la beurrerie cessera-t-elle ses opérations?  Et pourquoi?

Autant de questions qui demeureront sans réponse ici, à moins que l’un de vous, lecteurs, ne prenne la plume pour terminer l’histoire…